73,2 x 59,4 cm
1810
Huile sur sa toile d’origine
Signé en bas à droite Robert Lefèvre ft 1810
Cadre en bois doré à décor de palmettes d’époque Empire
Provenance :
• France, collection particulière.
Bibliographie :
• Gaston Lavalley, Le Peintre Robert Lefèvre, sa vie et son œuvre, Louis Jouan, Caen, 1914
• Mémoires de la Reine Hortense, [Hortense (reine de Hollande)] ; publiés par le prince Napoléon ; avec notes de Jean Hanoteau, Paris : Plon, 1927, Tome I
Si le nom de Robert Lefèvre jouit aujourd’hui d’une renommée internationale c’est que l’artiste fut, de son vivant, loué par les critiques. Les quelques rares notices biographiques nous apprennent que le jeune bayeusain, destiné à une carrière juridique se tourna finalement vers la voie artistique débutée en autodidacte entre Bayeux et Caen. À dix-huit ans, l’artiste rejoint Paris et termine sa formation dans l’un des plus considérables ateliers de son temps, celui de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), alors considéré comme le principal rival de Jacques-Louis David (1748-1825), connu pour ses compositions historiques et tableaux de genre. Son talent précoce rapidement décelé par ses pairs lui permet de se bâtir une solide réputation en exposant aux Salons à partir de 1791 et jusqu’en 1827. L’orée du XIXe siècle signe l’apogée de sa carrière, désormais sa clientèle s’étend au-delà des frontières françaises. Elle se constitue notamment de membres du monde fortuné et élégant du Premier Empire qu’il suit assidument et pour lequel il devient, grâce au soutien de Dominique Vivant Denon (1747-1825), l’iconographe officiel du pouvoir en multipliant les effigies de l’Empereur. Son succès se poursuit jusqu’à la Restauration puisqu’il sera nommé premier peintre de Louis XVIII.
Sur un fond d’un vert cuivré brossé, apparaît le portrait d’une femme à mi-corps. Le modèle paraît serein, assise sur ce qui semble être un fauteuil en bois doré et garni de velours du rouge Empire, posant délicatement ses mains sur un coussin aux galons dorés de la même teinte. Elle porte une robe bleue à manches courtes à décolleté épinglé en pointe, brodée de fils d’argent sur une taille haute ceinturée. Outre le magnifique châle de cachemire ivoire brodé tombé de son épaule droite, ses cheveux sont retenus par un élégant petit peigne dont la monture en or est ornée de perles, élément d’une parure complétée par ses pendants d’oreilles, symboles d’une condition sociale aisée. La coiffure portée par notre modèle rend compte de la mode capillaire sous l’Empire lancée par les Beauharnais : les cheveux sont retenus en arrière en chignon duquel s’échappent d’épaisses boucles retombant sur le front.
Lefèvre semble ici avoir représenté Aglaé Auguié, dont nous connaissons un portrait miniature à la gouache daté 1808 par l’artiste suisse Pierre Bouvier (ill. 1). Représentée à deux années d’écart de notre portrait, elle arbore la même sensibilité transcrite à travers la finesse de ses traits. Ses yeux en amande plongés dans ceux du peintre traduisent à la fois tendresse, timidité et plus encore une certaine candeur évoquée par sa délicate bouche pincée et ses pommettes rehaussées de rouge que Bouvier s’était attaché à rendre dans sa miniature.
Après la mort précipitée de son épouse, ex-femme de chambre de la reine Marie-Antoinette, Pierre-César Auguié et ses trois filles s’installent au château de Grignon. La propriété est achetée grâce à une fortune accumulée sous l’Ancien Régime : Auguié fut régisseur général des vivres du royaume avant d’être nommé receveur général des finances du duché de Bar et de Lorraine. Sa belle-sœur, Madame Campan qui avait été la première femme de chambre de la reine, se voue alors à l’éducation de ses nièces Antoinette-Louise (1780-1833), Adélaïde-Henriette dite Adèle (1772-1810) (ill. 2) et Aglaé dite Églé, la cadette (1782-1854) (ill. 3). Elle les place à l’Institution Nationale de Saint-Germain qu’elle fonde en 1794, pensionnat visant à éduquer les jeunes filles de la haute bourgeoisie. Les trois jeunes femmes y rencontrent Pauline et Caroline Bonaparte ainsi que Hortense de Beauharnais.
« Ma liaison intime avec les nièces de Mme Campan me rendait moins pénible l’éloignement de ma famille et, quelques fois j’allais à Grignon, belle terre à M. Auguié. »
Aglaé et Hortense se lient d’une amitié fidèle et sans faille, ce qui encouragea Joséphine, alors première Dame du Consulat, à marier sa fille et son amie la même année. En 1802 Hortense épouse Louis Bonaparte et Aglaé le « brave des braves » militaires Michel Ney qui intègrera fièrement la première promotion de maréchal d’Empire deux ans plus tard.
« Églé, la seconde sœur d’Adèle, était remplie de bonté, de sensibilité et d’agréments. Nous la mariâmes au général Ney et je suis restée constamment liée avec d’elle. »
Le musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau conserve par ailleurs un dessin, exécuté par Adèle Auguié représentant, l’année de leur mariage, Aglaé et son amie Hortense éprise d’une profonde mélancolie (ill. 4). Par son union Aglaé devient ainsi la maréchale Ney, duchesse d’Elchingen et princesse de la Moskowa et assiste au sacre de Napoléon, placée parmi les dames de cour de l’Impératrice.
« Je vous apprendrai à dessiner, mais non pas à peindre ; car votre coloris est celui de la nature, dont vous paraissez l’élève. » Par ces mots, Jean-Baptiste Regnault avait naturellement décelé que le jeune Lefèvre, d’un an seulement son cadet, connaissait déjà l’art de la peinture. L’ouvrage de Gaston Lavalley publié en 1914 mentionne qu’avant de rejoindre l’atelier de Regnault en 1784, Robert Lefèvre s’était formé seul à la peinture, en étudiant ses modèles qu’il croquait sur le vif et corrigeait instantanément.
Citoyens proches du pouvoir, de l’artiste lui-même ou de simples particuliers en demande de reconnaissance sociale, Lefèvre rend avec un grand soin chaque détail de représentation de ses modèles. Dans notre portrait, sa virtuosité s’exprime à travers les coups minutieux de pinceau allant du traitement des cheveux finement dessinés jusque dans la broderie d’argent de la robe ou le reflet de la lumière dans les perles blanches des boucles d’oreilles.
Travailleur infatigable, artiste et excellent commerçant jouissant d’une renommée internationale, Robert Lefèvre est un portraitiste du monde élégant connu de la fin de la monarchie à la Restauration en passant par l’Empire qui lui offrit tous les honneurs qu’un peintre pouvait espérer. En cherchant systématiquement à se perfectionner, l’artiste ne se contente pas des louanges qu’il reçoit du public le classant parmi les meilleurs pinceaux de son temps, mais recherche aussi les distinctions honorifiques en s’inscrivant sur la liste des candidats à la Société philotechnique, afin de côtoyer également savants, homme de lettres et hommes politiques.
« Vous m’avez chargé, citoyens collègues, de vous faire un rapport sur le citoyen Robert Lefèvre, peintre, inscrit sur la liste des candidats qui prétendent à l’honneur d’occuper un jour une place parmi vous. Si des talens recommandables, si toutes les qualités du caractère et du cœur y donnent des droits, le citoyen Robert Lefèvre en possède d’incontestables. Voici la liste de ses ouvrages sur lesquels je n’entrerai dans aucun détail, parce qu’ils sont en général connus de vous. »
M.O.