Louis ELLE dit FERDINAND l’Aîné (Paris, 1612 – 1689)

Portrait présumé de Marie-Charlotte de Lorraine, demoiselle de Chevreuse (1627-1652)

Vers 1650
Huile sur toile
55 x 46 cm

Provenance

· Vente anonyme, Versailles, Blache commissaire-priseur, 17 juin 1981, lot 6.
· Vente Paris, Ader Nordmann, hôtel Drouot, 16 décembre 2016, lot A24 (attr. Charles Beaubrun).
· France, collection particulière.

D’une beauté rayonnante et pleine qui faisait chavirer les coeurs au milieu du XVIIe siècle, souriante et somptueusement parée, la jeune femme de notre portrait fascine, tout en conservant une part de mystère. Aucun élément ne permet de percer son anonymat, mais ses riches atours indiquent une personne de qualité, issue sans doute de l’un des meilleurs lignages du royaume. Elle est en effet vêtue avec toute l’élégance des premières années du règne de Louis XIV d’une robe de soie brodée de fil d’or et d’argent aux manches bouffantes cerclées de parures de rubis, saphirs et perles. Un grand pendant de diamants et de grosses perles orne le devant du corsage, tandis qu’une cape de drap d’or brodée d’argent et doublée de soie cramoisie recouvre l’épaule droite, donnant davantage d’éclat à cet étalage de richesses digne d’une princesse.

Tout ce luxe ostentatoire n’occupe pourtant que le quart inférieur du portrait et ne dépasse guère la guimpe en fine mousseline couleur brun tanné qui souligne plutôt que recouvre le décolleté. Au-delà, la clarté merveilleuse des carnations « de lys et de roses » rivalise sans peine avec la blancheur des perles qui parent le cou de la dame, ses oreilles et ses cheveux. La lumière froide venant d’en haut à gauche rutile sur les chairs, s’étiole dans les perles, effleure les lèvres carmines, flamboie dans les yeux du modèle bordés d’épais cils soyeux et glisse dans les cheveux qui s’échappent en mèches ondulantes de la coiffure sophistiquée.

Cette lumière vibrante et latérale qui relève les textures, pénètre dans l’épaisseur de l’iris et crée des ombres chaudes et transparentes, mais aussi cette touche fondue et vandyckienne sont caractéristiques de l’un des portraitistes les plus recherchés de l’époque et distinguent sa manière de l’art des frères Beaubrun qui affectionnaient la description minutieuse et les chairs porcelainées. Il s’agit de Louis Elle dit Ferdinand, et la confrontation avec ses oeuvres contemporaines signées au revers de la toile ne laisse guère de doute quant à la parenté de notre portrait et à son autographie.

Surnommés « Ferdinand » ou « Elle Ferdinand », les Elle sont une famille de peintres d’origine flamande actifs entre 1601 et 1717. Le premier de la lignée, Ferdinand Elle (vers 1580-1637), probablement originaire de Malines, vint en France au tout début du XVIIe siècle. Protestant, il oeuvra d’abord à Fontainebleau, avant de s’installer dans le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés dont la maîtrise, profitant des franchises concédées par l’abbaye, accueillait volontiers les peintres étrangers à l’inverse de la corporation parisienne. Son nom manquant d’originalité, il se fit connaître sous son prénom de Ferdinand, repris ensuite par ses descendants pour mieux marquer la continuité de l’atelier : ses deux fils, Louis Elle l’Aîné ou le Père et le graveur Pierre Elle (1617-1665), puis le fils de Louis, Louis Elle le Jeune (1649-1717).

Portraitiste renommé, maître à la corporation de Saint-Germain, Louis Elle l’Aîné oeuvrait pour les grandes familles parisiennes, les courtisans les plus éminents et les membres de la famille royale, parmi lesquels la Grande Mademoiselle, la reine Marie-Thérèse d’Autriche, Philippe, frère de Louis XIV, et le souverain lui-même. Dès février 1648, l’artiste appartenait à l’Académie de peinture et de sculpture, qui l’élit professeur en 1659. Le durcissement de la politique royale à l’égard des protestants mena cependant à son exclusion le 10 mars 1681, lui faisant perdre une partie de sa clientèle et les commandes officielles. Elle Ferdinand abjura deux mois et demi après la révocation de l’édit de Nantes le 18 octobre 1685, ce qui permit sa réintégration immédiate à l’Académie et un retour en grâce, dont témoigne le Portrait de la marquise de Maintenon accompagnée de sa nièce commandé en 1688 pour la Maison royale de Saint-Cyr (Versailles, inv. MV 2196).

Notre tableau est un portrait mondain, bien que moins solennel et codifié que la plupart des oeuvres de Louis Elle et surtout en petit buste et non cadré aux genoux, composition préférée de l’artiste qui fut également celle des frères Beaubrun. Avec son fond neutre et sombre qui rapproche le modèle du spectateur, la toile est parmi les plus intimistes de l’artiste, sans rien perdre de sa solennité. Le cadrage serré met plus que jamais l’accent sur le regard pénétrant et plein d’esprit de la jeune femme dans laquelle on a parfois voulu reconnaître Madame de Sévigné.

Si les dates ne s’y opposent pas – Marie de Rabutin, marquise de Sévigné, avait vingt-quatre ans en 1650 –, cette identification est réfutée par la comparaison avec les portraits de l’épistolière qui fut en outre réputée pour sa blondeur. En revanche, la ressemblance de notre modèle avec celui du tableau anonyme conservé au musée de Port-Royal des Champs est saisissante. Proche des Beaubrun et inévitablement idéalisé, ce portrait est présumé représenter Charlotte-Marie de Lorraine-Guise, petite-fille du duc Henri de Guise, le célèbre Balafré, et fille de Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, et de Marie de Rohan, confidente d’Anne d’Autriche.

Née en 1627, la demoiselle de Chevreuse était connue pour sa beauté et fut, avec sa mère, l’une des principales figures de la Fronde des Princes. Amante de Jean-François de Gondi, futur cardinal de Retz et grand adversaire de Mazarin, elle fut ensuite promise au prince Armand de Conti, mais l’intervention du Grand Condé, frère aîné de Conti, et de leur soeur, duchesse de Longueville, fit échouer le projet. La régente avait ensuite imaginé d’unir Charlotte au neveu du cardinal Mazarin, Paolo Mancini, afin de sceller la réconciliation des frondeurs et de la cour, mais la duchesse de Chevreuse s’y opposa vivement. La princesse mourut en novembre 1652 à Paris, fort pleurée par sa mère.

A.Z.

Charger plus