Huile sur toile collée sur carton. Monogrammé en bas à droite.
Formé à l’Académie Julian, Maurice Denis fut l’un des initiateurs du groupe nabi. Religieux voire mystique, il fut aussi le théoricien de ces jeunes artistes désireux d’un renouveau artistique dans lequel la peinture décorative occuperait une place fondatrice. Ce travailleur infatigable créera sa propre iconographie, et mettra en œuvre des formes esthétiques nouvelles sans jamais sacrifier au fond. Marquée par les primitifs italiens, sa peinture évoluera vers un classicisme très personnel. Décorateur recherché, Denis fut aussi l’illustrateur de Sagesse de Verlaine, édité chez Ambroise Vollard, ou encore le créateur d’œuvres de chevalet de petit format empreintes d’une poétique intérieure qui le fit dans les premiers temps surnommer le « nabi aux belles icônes ».
Notre Procession aux toits rouges est vraisemblablement une première ébauche de « Vers le bonheur », troisième panneau d’un projet décoratif pour la salle des mariages de Montreuil-sous-Bois. Les décors municipaux faisaient à cette époque le bonheur de jeunes artistes qui, profondément influencés par Puvis de Chavannes, réclamaient des murs à peindre, et voyaient dans le décor monumental le premier lieu de leur accomplissement. La mairie de Montreuil avait proposé en 1892 le programme d’un concours pour sa salle des mariages, sans sujet imposé. Le 20 mars 1892, d’après son journal, Maurice Denis s’y attelle. Il rendra ses compositions le 31 du mois. Peints au dixième, les projets seront présentés trois semaines à l’Hôtel de Ville de Paris. On y retrouvera les signatures de nombreux élèves de Gustave Moreau, comme Henri Matisse ou Louis Valtat. Puvis de Chavannes assurera ensuite la présidence de jury.
Pour cette vaste salle rectangulaire, l’artiste imagina quatre panneaux. Les figures en cortège y formeront une longue et unique procession : ‘Vers l’espoir’ illustrera les fiançailles, ‘Vers l’amour’, le mariage, ‘Vers le bonheur’, la vie familiale, et ‘Vers le repos’, le départ pour l’au-delà. Thérèse Barruel a identifié récemment, dans les carnets de l’artiste, la genèse du projet on y voit quatre croquis au crayon, annotés. Le troisième, ‘Vers le bonheur’, porte la mention e les ‘enfants/maisons rouges’. C’est le seul dont on ne connaît pas le panneau présenté correspondant. ‘La Marche de fiançailles’ rejoignit dès 1892 la collection Arthur Fontaine. ‘La Procession nuptiale’ est aujourd’hui conservée au Musée de l’Ermitage. La quatrième esquisse à l’huile a été retrouvée sous un ‘Paysage à l’arbre fleuri’.
L’iconographie du décor d’une salle de mariage était codifiée, et devait s’inscrire autour de la cérémonie qui s’y déroulait. Pour Montreuil, Denis la transcende, proposant d’évoquer le cheminement de toute une vie. Le cortège qui nait aux fiançailles s’achève alors au bord d’une rivière où, sur une barque, un passeur attend pour le mener vers l’au-delà. ‘Vers le Bonheur’ évoque les joies de la vie familiale. La procession se déroule linéaire, horizontale. Progressivement, Denis développera ses cortèges verticalement : ceux-ci prendront alors des allures d’ascension.
Le motif de la procession traversa l’œuvre du « Nabi aux belles icônes ». Il s’en émerveillait en Bretagne, où les Pardons de la Clarté ou du Folgoét lui inspirèrent de nombreuses toiles. Il aimait aussi les processions du 15 août, dont les bannières éclatantes de couleur animent ses toiles. Parfois situé dans la foule, parfois la regardant circuler, le peintre nous introduit ainsi dans ces instants où le recueillement religieux s’allie à la fête populaire, dans une atmosphère de joyeux recueillement. Mais Maurice Denis ne peignit pas, à la différence peut-être d’un Mathurin Méheut, avec la conscience de témoigner d’une culture qui disparaissait. Devenant atemporelle, la procession symbolise le déroulement même de la vie terrestre. Empreints d’une dimension mystique, ses cortèges de communiantes ou de vierges vêtues de blanc semblent déjà appartenir à l’éternité.
Notre étude est à mettre en rapport avec le ‘Cortège aux rosiers blancs’, (Musée Maurice Denis), qui évoque une promenade familiale. Elle peut également se rapprocher de la ‘Procession aux étendards’ (1897, collection particulière). Justes esquissées, presque abstraites, des silhouettes déambulent en pleine nature, par groupe voiles de blanc ou tout de noir vêtus. On retrouve de semblables personnages dans la ‘Procession pascale’ (1892 collection particulière) : Maurice Denis parlait alors de « figures d’âmes ». L’alignement des troncs et les arbres fleuris de blanc, à l’arrière-plan, sont aussi une constante de l’œuvre printanière de l’artiste.
La ‘Procession aux toits rouges’ est peinte vers 1892, au cœur de la période nabi de l’artiste. La palette chromatique en est caractéristique ; la manière évoque la leçon de Gauguin à Sérusier pour ‘le Talisman’. Dans un format réduit, Maurice Denis juxtapose des blancs, bleus verts et rouges francs, laissant affleurer la toile non préparée. II dispose dans le décor ainsi brossé les touches noires et gris teinté de mauve des personnages. L’ensemble ne peut qu’évoquer la formule désormais célèbre du jeune nabi, qui semble résumer avec bonheur les solutions esthétiques de notre toile : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »
Le tableau sera inscrit au Catalogue raisonné de l’œuvre de Maurice Denis avec le n° d’indexation : 892.0051