46 x 38 cm
Circa 1790.
Huile sur sa toile d-origine
À la fois figure de caractère héritée des tronies flamandes du Siècle d’Or, travail d’après nature indispensable à l’élaboration des tableaux d’histoire mettant en scène les dieux de l’Olympe ou les personnages des Écritures, mais également exercice particulièrement formateur pour les jeunes artistes, la Tête de vieillard est une constante dans la peinture française depuis la fondation de l’Académie et la victoire des rubénistes sur les poussinistes. Antoine Coypel, Hyacinthe Rigaud, Jean-Honoré Fragonard, Joseph Marie Vien, Nicolas Vleughels, François-André Vincent, Jean Restout : dans l’oeuvre de tous les grands artistes du XVIIIe siècle, on retrouve ces représentations d’hommes âgés en petit buste. Leurs titres varient selon que le spectateur y perçoit un vieux paysan, un apôtre, un Oriental, un mendiant ou un philosophe, mais la mise en place d’une grande sobriété et les cadrages serrés demeurent, tout comme la gamme chromatique éteinte et l’attention particulière portée aux visages burinés de rides et aux expressions.
Notre toile s’inscrit dans la même tradition et présente un vieil homme exalté, les yeux levés au ciel et la bouche entrouverte comme s’il récitait une prière ou comme s’il assistait, étonné, à une vision. Ces longs cheveux gris s’éparpillent en boucles souples. Il est vêtu d’une tunique de drap vert qui laisse l’épaule droite dénudée. Cependant, l’étoffe est traitée rapidement par l’artiste qui s’attache surtout à décrire le visage marqué par les années, la barbe blanchie autrefois brune, la brillance du regard humide et jusqu’au reflet du rouge des lèvres sur les dents. Le clair-obscur intense souligne l’arête du nez, accentue le creux des yeux et découpe les rides conférant au modèle une présence physique d’une incroyable puissance qui contraste avec son grand âge. Le tout est rendu d’une main ferme et habile, avec un faire virtuose et varié, à l’image des reflets de lumière, rendus en pleine pâte dans le front, brossés dans la chevelure et étalés dans l’épaule.
Le type du visage très davidien, la technique, la préparation rougeâtre et la toile romaine indiquent une réalisation par un artiste français séjournant en Italie vers la fin du XVIIIe siècle et influencé par Jacques-Louis David. La grande proximité entre notre toile et les Têtes de vieillards peints par le jeune François-Xavier Fabre, d’une écriture très semblable – tels le contour ininterrompu de l’oeil, le dessin des cils ou l’emploi du pinceau plat pour les cheveux –, nous amène à proposer l’artiste montpelliérain comme auteur de notre toile.
Fils du peintre Joseph Fabre, François-Xavier Fabre commença son apprentissage dans l’atelier paternel, puis dans les écoles de dessin entretenues par la Société des Beaux-Arts constituée en 1779 et qui réunissait des amateurs d’art. La Société l’envoya parfaire sa formation à Paris, dans l’atelier de David dont le style marqua durablement la manière du jeune artiste. En 1787, après deux tentatives infructueuses, il obtint le Grand Prix de peinture pour Nabuchodonosor faisant tuer les enfants de Sédécias (Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts), ce qui lui valut une pension à Rome. Il y passa cinq ans, entre 1787 et 1792, s’acquittant scrupuleusement des travaux imposés par son statut : dessins d’après les chefs-d’oeuvre des maîtres, copie d’un tableau de Guido Reni, études de paysage sur le motif, académies peintes.
Élève brillant de l’Académie, apprécié par le comte d’Angiviller, directeur des Bâtiments, protégé par Vien, son compatriote et peintre du roi, Fabre vit son avenir professionnel s’assombrir lorsqu’éclata la Révolution. En 1791, le Salon s’ouvrit aux non-agréés. Il y présenta Suzanne et les vieillards (Musée Fabre), peint à Rome pour un groupe d’amateurs parisiens, ainsi qu’Abel expirant réalisé l’année précédente (Musée Fabre). Ce dernier rallia tous les suffrages, et un critique n’hésita pas à le désigner comme « le tableau le plus parfait du Salon ». La suppression de l’Académie en 1792, la chute de la monarchie, l’hostilité de la population romaine poussèrent l’artiste à quitter la Ville Éternelle pour Florence où il demeura jusqu’en 1824. Il y fut protégé d’abord par le Grand Duc Ferdinand III, puis par ses successeurs imposés par Napoléon, mais surtout par la comtesse d’Albany, veuve du dernier prétendant Stuart d’Angleterre et qui devint une amie.
Notre vieillard, qui n’est pas sans rappeler le Bélisaire peint par David en 1785 et copié la même année par Fabre (Paris, musée du Louvre, inv. 3494), est à rapprocher de la Tête de vieillard conservée au Musée Fabre et annotée au revers « d’après nature en septembre 1784 ». L’analogie est encore plus évidente avec la Tête d’homme barbu, de profil datant du séjour romain de l’artiste et peut-être liée au travail préparatoire pour la Prédication de Saint Jean Baptiste destinée à l’église des Pénitents bleus de Montpellier. On retrouve par ailleurs les réminiscences de ces têtes de caractère très expressives dans les tableaux d’histoire de Fabre, à l’instar de la Suzanne de 1791 ou de la Vision de Saül de 1803 (musée Fabre).
A.Z.
Bibliographie générale (oeuvre inédite)
Pierre QUARRÉ, « Deux élèves de l’Académie de peinture de Dijon. Jean-Claude Naigeon et Jean Naigeon », Bulletin de la Société d’Histoire de l’Art Français, 1963 (1964), p. 121-132.
Philippe BORDES, « François-Xavier Fabre, peintre d’Histoire », Burlington Magazine, vol. 117, 1975, p. 90-98.
Laure PELLICIER, Michel HILAIRE, Sidonie LEMEUX-FRAITOT, Carlo SISI, François-Xavier Fabre (1766-1837), de Florence à Montpellier, cat. exp. Montpellier, Musée Fabre, Paris, Somogy, 2008.