55 x 77 cm
1837.
Huile sur toile.
Signé et daté en bas à droite L. Garneray 1837.
Provenance
· Avec son pendant, Le Vaisseau le Vengeur, collection particulière, Neuilly-sur-Seine.
· Vente anonyme, Saint-Cloud, Le Floch commissaire-priseur, 2 octobre 2016, lot 25.
Exposition
1838, Paris, Salon, no 773 (dimensions 80 x 100 cm avec cadre1) : « Triomphe de Tourville : Au combat d’Augusta, l’amiral français ayant envoyé deux vaisseaux du centre au secours de notre avant-garde qui commençait à fléchir, Tourville attaque bord à bord le vaisseau la Concorde que montait Ruyter, le démâte et le force bientôt à abandonner le champ de bataille ». Le pendant, Le Vaisseau le Vengeur, est présenté sous le numéro 772.
OEuvres en rapport
Version autographe exposée au Salon de 1837 (no 787), 142 x 227 cm, Versailles, inv. MV1394 (en prêt au Sénat, Palais de Luxembourg). Gravé par Edward Chavane.
Esquisse signée et datée de 1836, huile sur toile, 65 x 81 cm, Dieppe, Château-Musée, inv. 960.2.21.
En 1837, Louis Garneray présenta au Salon quatre peintures et deux aquarelles, dont une grande toile historique ayant pour sujet la bataille navale livrée le 22 avril 1676 au large des côtes siciliennes par la flotte française sous les ordres d’Abraham Duquesne aux flottes d’Espagne et de Hollande sous le commandement de don Francisco de la Cerda et de Michiel de Ruyter. Il s’agissait d’un épisode de la guerre de Hollande, ou, plus exactement, de la campagne de Sicile lorsque la ville de Messine, révoltée contre les Espagnols et soumise à un blocus, fit appel à Louis XIV.
Le livret du Salon décrivait ainsi la scène : « L’auteur a choisi pour sujet de son tableau le moment où le vaisseau du chevalier de Tourville force celui de l’amiral Ruyter, désemparé par la chute de son grand mât de hune, à laisser arriver pour gagner le port d’Augusta, tandis que le marquis de Valbelle, obligé d’abandonner son vaisseau, mis hors de combat pendant l’action, pour prendre sur un autre le commandement de l’avant-garde, coule à fond une des deux chaloupes ennemies qui lui disputent le passage. »
Le combat d’Agosta ou du Mont-Gibel fut en effet le dernier mené par le redoutable amiral Ruyter, l’un des plus grands stratèges de la marine du XVIIe siècle. Mais si le début de la bataille était à son avantage – le capitaine de l’avant-garde française, le marquis d’Alméras, fut tué et son bâtiment coulé par le navire amiral de Ruyter, le Eendracht (Concorde) –, le retrait des Espagnols et l’arrivée du Saint Esprit de Duquesne et du Sceptre de son « matelot », Anne Hilarion de Costentin, comte de Tourville, fit pencher la victoire du côté des Français. Revigorée, l’avant-garde désormais menée par Jean-Baptiste de Valbelle, second « matelot » de Duquesne, poussa la flotte ennemie désemparée par la défection de Ruyter, grièvement blessé par un boulet de canon. La nuit interrompit le combat : le lendemain, les alliés partirent s’abriter à Syracuse, où de Ruyter mourut le 29 avril. Son corps fut amené à Amsterdam sur le Eendracht. Louis XIV ordonna de délivrer le laisser passer au vaisseau de son ancien ennemi et de saluer son passage près des côtes françaises par des coups de canon.
Mais si la bataille d’Agosta fut marquée par la disparition de Ruyter, elle fut surtout, en dépit de sa violence et de ses pertes, l’une des grandes victoires stratégiques de la France et un haut fait d’armes digne de figurer dans le musée historique de Versailles initié par Louis-Philippe. Ce sujet issu du passé fut donc imposé à Garneray, qui, fort de son expérience de marin, livra une composition vraie, réaliste, intense et grandiose, sans être inutilement narrative ni scrupuleusement exacte.
Fils aîné du peintre François-Jean Garnerey (Garneray), Ambroise Louis s’engagea dans la marine à treize ans. Mouvementée et aventureuse, faite de naufrages, batailles, abordages et maladies, sa carrière de marin qui nourrira plus tard ses écrits prit fin lorsque sa corvette la Belle Poule fut prise par les Anglais en 1806. Libéré à la fin de la guerre en 1814, et n’ayant pas réussi à rentrer dans la marine marchande, Garneray se consacra entièrement à la peinture et exposa pour la première fois au Salon dès 1815. Lorsqu’il reçut la commande du Combat d’Augusta, Garneray était au faîte de sa gloire : ses vues de ports, ses marines et ses pêches à la baleine étaient unanimement saluées à la fois pour leur maîtrise technique et leur vérité et il était nommé directeur du musée de Rouen depuis 1833.
Datée de 1837, année de la présentation de la grande toile commandée par Louis-Philippe au Salon, notre tableau fut exposé l’année suivante sous un titre très différent, Triomphe de Tourville, et accompagné d’un pendant (no 772), Le Vaisseau le Vengeur (Troisième bataille d’Ouessant, 28 mai-1er juin 1794). De dimensions parfaitement identiques et d’une composition très proche bien que traitant d’un sujet révolutionnaire, cette peinture est pourtant datée de 1838 (Musée des Beaux-Arts de Brest). L’existence d’une troisième version du Combat d’Agosta, conservée à Dieppe et portant l’année 1836, non seulement confirme l’importance de ce thème pour l’artiste, mais permet également de mieux comprendre la place qu’occupait notre toile dans sa réflexion.
Très proche de la composition de Versailles avec l’Etna fumant à l’arrière-plan au milieu qui domine la scène, le tableau de Dieppe paraît être une esquisse, recherchant le rapport des masses, la position des navires et les effets de lumière. Dans notre version, si la disposition générale est la même – Le Pompeux de Valbelle démâté vu à contre-jour et les canots où le chevalier et ses marins combattent au corps à corps, le Eendracht dont le mât vole en éclats, le Sceptre de Tourville battant le pavillon blanc et deux navires en souffrance dont un sous le drapeau espagnol –, aucun détail n’est repris à l’identique. Ici, tout est plus lumineux, contraste et dramatique jusque dans la touche, vibrante et énergique. La mer est déchaînée, le vent souffle, les explosions se multiplient, la fumée noire assombrit le ciel. L’Etna, fantomatique, est placé tout à gauche, de manière à mettre l’accent sur le centre du tableau et la poupe du Sceptre : l’exploit personnel de Tourville que Garneray admirait éclipse l’action commune.
Les images aux rayons infrarouges révèlent six lignes longitudinales facilitant la construction par plans, mais surtout un dessin sous-jacent fougueux et rapide, schématique, sommaire et finalement peu suivi. De même, on découvre de nombreux repentirs et modifications qui confirment que notre toile n’est ni une réplique réduite du tableau commandé pour Versailles, ni un modello poussé, mais bien une création nouvelle et fortement personnelle, réalisée peu avant ou peu après la grande toile. D’ailleurs, les habits que portent les protagonistes ressemblent davantage aux uniformes de la fin du XVIIIe siècle qu’aux élégantes vêtures du temps de Louis XIV, comme si l’artiste voulut y faire résonner ses propres souvenirs de marin de guerre. C’est probablement pour cette raison qu’avant de présenter le Triomphe de Tourville au Salon de 1838, Garneray résolut de lui donner un pendant célébrant l’héroïsme et le sacrifice des matelots de la République, héritiers de droit des grands capitaines du passé.
A.Z.
Bibliographie générale (oeuvre inédite)
Laurent MANOEUVRE, Louis Garneray (1783-1857). Peintre, Écrivain, Aventurier, cat. exp. Honfleur et Dunkerque, 1997, p. 104, 105, 183.