Huile sur toile
Peintre atypique redécouvert récemment, et dont le corpus ne cesse désormais de s’accroître, Joseph Heintz fait, parmi les peintres nordiques, figure à part. Né à Augsbourg aux alentours de 1600, fils d’un peintre actif à la cour de Rodolphe II, il fut formé par son beau-père Matthaüs Gondolach (1566 – 1653), puis passa dans l’atelier de Matthias Kager (1575 – 1634). Encore jeune, l’artiste quitta sa patrie pour l’Italie. Il fut probablement actif quelques temps à Rome, mais c’est à Venise qu’il s’installa définitivement. On y trouve mention de lui pour la première fois en 1625 ; une dizaine d’années plus tard, son nom apparaît dans les registres de la corporation des artistes de la ville, attestant d’une renommée désormais établie.
Le corpus d’œuvres de Joseph Heintz progressivement reconstitué, notamment grâce aux travaux de Daniele D’Anza, témoigne des aptitudes variées d’un homme qui s’illustra aussi bien par la peinture sacrée que par des sujets profanes. Ebloui par les fêtes religieuses et civiles de la Sérénissime, Heintz s’attacha à les dépeindre. Ses œuvres sont parfois des reflets directs de la réalité, telle l’Entrée du Patriarche Federico Corner à S. Pietro di Castelle (Venise, Musée Correr), parfois des sujets recomposés dans le goût des capricci, comme la Vue imaginaire aux édifices vénitiens du Palais Albrizzi. La critique italienne considère aujourd’hui Joseph Heintz comme un précurseur des veduttistes que seront quelques générations plus tard Luca Carlevaris, puis Canaletto et Guardi.
On retrouve dans notre œuvre le goût de Joseph Heintz pour la mise en scène. Il a composé son tableau comme un vaste panorama, conjuguant l’effet d’ensemble et le souci du détail pittoresque. La lumière et la couleur structurent le décor ; la perspective atmosphérique distingue les plans successifs. Une légère houle répond aux nuages sombres et denses. A gauche, se dressent les vestiges monumentaux d’un temple ionique, envahi par les herbes ; une lumière franche souligne les ombres, le décor de rinceaux de l’entablement, les médaillons sculptés de bas-reliefs, et les volutes des chapiteaux.
L’activité maritime est au cœur du tableau : plusieurs navires mouillent dans une crique derrière le temple, des voiles parsèment l’arrière-plan. La partie droite de la composition est occupée par le gaillard arrière d’un grand vaisseau qu’animent passagers et galériens ; on retrouvera ce motif dans plusieurs des scènes de fête maritime et de bataille peintes par l’artiste.
Dans ce cadre qui évoque un décor de théâtre, Heintz a agencé un ensemble narratif savoureux. Fantaisiste, l’artiste aimait puiser des motifs dans les gravures de Hieronymus Bosch, de Brueghel l’Ancien et de Jacques Callot. Il se situe parfois aux frontières du spectacle burlesque ; ses personnages aux costumes chamarrés, aux postures franches, évoquent les ‘macchiette’ du théâtre italien.
Les personnages principaux, probablement issus du navire, sont repérables à la richesse de leur vêtement, rouge et bleu, brodé d’or, orné de brocards et de galons. L’homme au costume princier est présenté de face ; il porte un chapeau à plumeau, et une canne qu’il pointe en direction de sa femme. Celle-ci, dont un jeune page porte la traîne, est figurée de profil au centre du tableau, le visage retourné vers le spectateur ; elle tient une marguerite dans la main droite. Des hommes en riches costumes de cours, des marchands, des membres d’équipage, des vagabonds, et divers animaux, complètent ce premier plan animé. Le personnage oriental, monté sur un cheval richement harnaché, rappelle ceux qui figurent sur une Bataille Navale de Heinz (voire D’Anza, 2004) ; il y relate l’une des étapes de la longue confrontation qui opposa les Turcs à Venise, jusqu’à la reddition de cette dernière en 1669.
Daniele D’Anza démontra la présence autour de Joseph Heinz « d’un atelier prolifique qui soutenait la production du maître » ; les mains de ses collaborateurs et de ses élèves ont assisté celle du peintre sur de nombreux tableaux. On peut ainsi envisager plusieurs mains dans le nôtre, dont la réalisation est située dans les années 1660. Heinz forma son fils Daniel, qui devint son principal collaborateur à partir de 1661, et sa fille Regina, mentionnée en 1663 dans un catalogue des peintres vivant à Venise. Les sources mentionnent également la présence d’un troisième fils ; la critique s’accorde enfin à situer la présence dans l’atelier de Francesco Trevisani (1656 – 1746) à partir de 1671, et ce jusqu’à la mort de Heinz en 1678.
BIBLIOGRAPHIE
S. SCARPA, « Nuovi Strigossi dell’Heintz », in Per l’arte. Da Venezia all’Europa. Studi in onore di Giuseppe Maria Pilo, Venezia 2001
F. PEDROCCO, « Joseph Heintz il giovane », in Gaspare Vanvitelli e le origini del vedutismo, catalogo della mostra di Roma e Venezia, Roma 2002
D. D’ANZA, « Joseph Heintz il giovane "pittore di più pennelli" », in Arte in Friuli Arte a Trieste, n° 23, 2004
D. D’ANZA, « Appunti sulla produzione festiva di Joseph Heintz il Giovane », in Arte in Friuli Arte a Trieste, n° 24, 2005
D. D’ANZA, « Uno stregozzo di Joseph Heintz il Giovane », in Arte in Friuli Arte a Trieste, n° 25, 2006