35,7 x 54,3 cm
Huile sur panneau préparé et filassé
Provenance :
• France, collection particulière
Exposition :
• Probablement Salon de 1793, La Colonnade du Louvre & ses Environs, ornés de Figures. Point de Vue pris du côté de la rue d’Angiviller, sous le n°109
Bibliographie :
• Françoise Roussel-Leriche et Marie Pętkowska Le Roux, Le témoin méconnu : Pierre-Antoine Demachy, 1723-1807, [cat. exp.], Musée Lambinet, Magellan et Cie, Paris, 2014
• Jean-Pierre Babelon, La Vie quotidienne à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, [cat. exp.], Musée de l’histoire de France, Archives nationales : Société des amis des archives, Paris, 1973
• Félix Lazare, Louis Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments (extrait des lettres-patentes), Félix Lazare, Paris, 1844
Fils d’un compagnon menuisier, Pierre-Antoine Demachy développe ses compétences innées pour le dessin et la perspective auprès de Giovanni Niccolò Servandoni, décorateur et architecte établi à Paris depuis 1724. Contrairement à ses contemporains Joseph Vernet (1714-1789) ou Hubert Robert (1733-1808), Pierre-Antoine Demachy ne trouve d’intérêt ni dans les paysages historiés ni dans les ruines de fantaisie issues d’un mélange entre l’apprentissage français et l’expérience italienne. L’artiste est un fervent défenseur de la ville de Paris : il y naît, vit et meurt en 1807. À la fois observateur de la vie quotidienne mais aussi peintre d’architectures et de paysages, la ville forme ainsi sa grande source d’inspiration. Agréé à l’Académie en 1755 puis reçu en tant que peintre d’architecture en trois ans plus tard, Demachy exposera au Salon jusqu’en 1802.
Le développement urbain constitue l’un des grands phénomènes du XVIIIe siècle. Les grandes villes assistent à une expansion démographique sans précédent qui entraîne des mutations architecturales notables. À Paris, le quartier du Louvre expérimente de grandes évolutions. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle Demachy habite le quartier du palais et tout en s’efforçant de rendre rigoureusement la vue qui se présente à lui, il se fait le témoin de la vie quotidienne telle qu’elle se présente à ses yeux. À la fois édifice historique et architectural, place royale et lieu de rencontre, l’artiste apprécie particulièrement la vue de la place du Louvre dont il tire des gouaches, huiles sur papier et une vingtaine de tableaux avant, pendant et après les travaux de dégagement de la colonnade.
Lorsque Louis XIV abandonne le Louvre pour s’installer à Versailles, un microcosme s’installe progressivement dans l’enceinte. Gargotiers et cabaretiers s’y installent et bientôt le ministre Pontchartrain se plaint de ce que « les cours du Louvre servent aux usages les plus infâmes de la prostitution et de la débauche ». Après un tel désordre, le marquis de Marigny, Surintendant des Bâtiments du roi, ordonne en 1758 des travaux afin de dégager un espace devant le palais et ainsi faire reculer le peuple, que l’on voit ici représenté au premier plan. Cette première étape de terrassement mènera à la place dégagée du Louvre que nous connaissons aujourd’hui.
Témoignage historique, notre tableau représente la place avant que les derniers édifices ne soient totalement détruits dans les dernières années du XVIIIe siècle. À droite de la composition, il est en effet encore possible d’apercevoir une partie des habitations qui formaient le cloître de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et une partie de l’hôtel du Petit-Bourbon (ill. 1). Le musée Carnavalet de Paris conserve par ailleurs une œuvre peinte de l’artiste prise durant les travaux de dégagement de la place, laissant apercevoir une partie de la colonnade du Louvre (ill. 2).
Demachy prend soin de représenter le plus fidèlement possible les édifices architecturaux. À l’arrière-plan de la composition, il est possible d’apercevoir de droite à gauche l’atelier monétaire parisien attaché à la Couronne aujourd’hui Monnaie de Paris suivi, à sa gauche, du collège des Quatre-Nations dont on aperçoit le dôme dominant la Seine, abritant aujourd’hui le siège de l’Institut de France. Plus encore en arrière-plan apparaissent les deux tours de l’église Saint-Sulpice puis celles de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Jusqu’en 1820, le transept de l’abbatiale était flanqué de deux tours, plus hautes que le clocher-porche. Après de nombreuses mutilations subies lors de la Révolution, les deux tours, devenues trop instables et menaçant de s’effondrer furent arasées.
En 1793, Demachy présente au Salon « La Colonnade du Louvre & ses Environs, ornés de Figures. Point de Vue pris du côté de la rue d’Angiviller » dont la description architecturale correspond à l’angle de vue choisi pour notre œuvre. Percée en 1780, la rue d’Angivillier était située dans l’ancien 4e arrondissement de Paris et disparut lors de la création de la rue de Rivoli en 1854.
Un extrait des lettres patentes décrit cet aménagement :
« Louis, etc…, voulons et nous plaît ce qui suit : Il sera ouvert, aux frais des sieurs Navau et compagnie, une rue de 24 pieds de largeur, dont l’alignement sera droit et les deux côtés parallèles, sur le terrain qui leur appartient, entre la rue des Poulies et celle de l’Oratoire, laquelle sera nommée rue d’Angiviller, et aura son entrée d’un bout au coin de ladite rue des Poulies et de la place de la Colonnade-du-Louvre, et de l’autre dans la rue de l’Oratoire, le plus près possible de celle Saint-Honoré, etc. Donné à Versailles le 12e jour du mois de mai de l’an de grâce 1780 et de notre règne le septième. Signé Louis. »
À droite dans notre tableau, il est possible d’apercevoir un pan d’architecture dont la partie haute est coiffée d’arbres. Il s’agit du jardin de l’hôtel particulier d’Angiviller, alors situé à l’extrémité de la rue. Prise d’un point de vue plus large, réalisée 17 ans plus tard, l’œuvre de Victor-Jean Nicolle représentant la colonnade du Louvre permet de rendre compte de la hauteur et de l’importance de la terrasse (ill. 3). Construit face au Louvre en 1745 pour Charles Claude Flahaut de La Billarderie (1730-1809), comte d’Angiviller (1754), l’hôtel servit d’annexe à la maison des Pères de l’Oratoire, reçut des ateliers d’artistes sous le Premier Empire avant d’accueillir la mairie de l’ancien 4e arrondissement.
Notre œuvre témoigne de l’habileté du peintre à rendre les plus minutieux détails d’architecture et affirme son don de dessinateur tout autant que celui du rendu de la lumière qui, soigneusement étudiée, souligne et flatte l’architecture du palais du Louvre.
L’œuvre de Demachy forme un véritable outil documentaire pour les historiens. Le dégagement de la colonnade du Louvre (entre 1758 et 1793) et les vues du palais constituent la plus importante partie de son œuvre. Au-delà de la vision architecturale, le peintre illustre la vie quotidienne de la fin du siècle et l’opposition qui existait entre la ville et la cour exilée à Versailles. À Paris, les philosophes, encyclopédistes, littérateurs, artistes, notables, artisans et marchands en tout genre grouillent dans les rues. Le Louvre constitue géographiquement le cœur de la ville, lieu de transactions et d’effervescence de vie, indépendante de la lointaine et stricte étiquette de Versailles.
M.O