H. : 64 cm
Circa 1800.
Marbre blanc de Carrare
Provenance
• Collection de l’artiste, Lyon, rue de l’Observance.
• Par héritage, sa veuve, Marie Berthaud, Lyon († 1839).
• Par héritage, son cousin, docteur Étienne Chinard (1786-1865).
• Vendu à Paris en 1839 avec les autres œuvres provenant de l’atelier de Chinard.
• Collection Alexandre Natanson (1867-1936), Paris.
• France, collection particulière aristocratique.
Exposition
1909, Paris, musée du Louvre, Joseph Chinard, p. 44, no 70 (cat. par Paul Vitry).
Parmi tous ces guerriers dans la fleur de leur âge,
Toi de qui la prudence égalait le courage,
Magnanime Desaix, que ce beau dévouement
Jette un durable éclat sur ton fatal moment !
François de Neufchateau, Hymne sur la mort à l’occasion des éloges funèbres de Desaix,
Le Moniteur, 17 messidor an VIII (6 juillet 1800)
« Dans les premiers mois de l’année 1813, M. de Polinière, médecin fixé à Lyon depuis peu de temps, passant un jour sur le quai de l’Observance, aperçut une belle maison de campagne, dans les jardins de laquelle étaient placées plusieurs statues en marbre. IL s’arrêta devant la grille pour les admirer, et voyant dans la propriété un homme dont l’aspect indiquait un état maladif, d’un âge avancé, il lui demanda le nom de propriétaire. Chinard, à qui il s’adressait, se nomma et le pria d’entrer pour examiner de plus près. M. de Polinière accepta avec empressement cette invitation, admira les statues, fit des compliments à l’artiste sur son talent . »
C’est probablement de ce M. de Polinière que Amédée Salomon de la Chapelle, auteur de la première grande étude sur le sculpteur Joseph Chinard, mais également de quelque document familial tenait la description des œuvres qui se trouvaient dans le jardin attenant à l’atelier de l’artiste, à l’angle du quai de l’Observance et de la montée du Greillon. Toutefois, pour établir aussi précisément la liste des sculptures, le chercheur lyonnais devait également s’appuyer sur quelque document familial, non localisé aujourd’hui. D’après Salomon de la Chapelle, il y avait, dans ce jardin planté de beaux arbres, plusieurs socles sur lesquels étaient placées des statues en marbre, parmi lesquelles plusieurs divinités antiques, « un Cardinal, Phocion, Homère, une Gorgone, un Gladiateur mourant, le portrait de Desaix, une aigle impériale déployant vainement des ailes de 15 pieds d’envergure ».
D’après Vitry qui rédigea le catalogue de l’exposition monographique de 1909 au Louvre, l’aigle – qui n’est pas celui de la Fontaine Foscati de Marseille, détruit dès 1814 – et le buste de Desaix furent vendus ensemble à un collectionneur particulier. Mais seul le buste, alors dans la collection d’Alexandre Natanson, grand amateur d’art moderne, intégra l’exposition, catalogué sous le numéro 70, juste après un autre buste colossal du même Desaix conservé à Versailles.
Le Modèle
Car le général Desaix fut de ces personnages qui marquèrent le plus l’épopée napoléonienne. Tué à Marengo le 14 juin 1800, à l’âge de trente-deux ans et après avoir assuré la victoire, Desaix fut à la fois le grand héros des guerres du Consulat et son plus grand regret . À celui qui mourut sur le coup, foudroyé d’une balle en plein cœur, la version officielle contenue dans le troisième rapport sur la victoire de Marengo daté du 15 juillet, prêta une phrase lourde de sens : « Allez dire au Premier consul que je meurs avec le regret de n’avoir pas assez fait pour vivre dans la postérité. » Ces dernières paroles, louées lors de la pompe funèbre, mettaient en exergue la modestie du général et rappelaient que c’est seulement de la République, et plus singulièrement de son premier magistrat – Bonaparte – que procède l’immortalité.
Le portrait de Desaix tracé dans les éloges funèbres est moral et social, jamais physique. Pourtant, le Consulat s’empressa d’organiser toute sorte de manifestations en l’honneur du général et d’ériger toute sorte de monuments plus ou moins éphémères, poussant les artistes à rivaliser d’ingéniosité pour célébrer sa mémoire. Médaille, mausolée, quai, monument provisoire aux Invalides, tableaux, sculptures, fontaine : aucun général ne reçut autant de marques d’honneur et d’estime que Desaix, tant de la part du Tribunat, de particuliers que du gouvernement.
Or, toutes ces œuvres ne pouvaient se contenter seulement des allégories et des attributs, mais devaient inclure le portrait du général sans toutefois disposer d’une effigie de référence. De fait, à l’inverse de Kléber à la longue chevelure ou de Marceau avec ses tresses, l’image de Desaix ne s’impose par aucun trait physique remarquable. Seul le dessin réalisé par André Dutertre pendant la campagne de haute Égypte est considéré comme réaliste (aquarelle, crayon noir, fusain, lavis de gouache ; Versailles, inv. 2441). La physionomie de Desaix n’y est pas particulièrement avenante : front fuyant, nez long, moustache qui dissimule un bec-de-lièvre, épaules tombantes qui soulignent une silhouette voûtée et accentuent un manque de prestance.
Le militaire héroïque est tout autre dans le tableau de Girodet peint en 1802 pour Malmaison et intitulé Ossian recevant les ombres des généraux français dans ses palais aériens (musée national du château de la Malmaison). Devant les autres et accueilli par Ossian lui-même, Desaix a la figure élancée et romantique, le profil romain, le visage rasé, les cheveux serrés à l’arrière dans un catogan orné d’une bague. Il porte l’uniforme de général de division brodé de feuilles de chêne préconisé par le règlement du 7 août 1798 qu’il semble en réalité n’avoir jamais fait confectionner.
La transfiguration du héros dans le tableau de Girodet est très proche du Portrait de Desaix réalisé en 1801 par le milanais Andrea Appiani alors même qu’il s’inspirait du masque mortuaire pris par Angelo Pizzi sur ordre de Lucien Bonaparte. Le statuaire italien fut chargé de réaliser le buste de marbre destiné au cénotaphe de Desaix à l’hospice Saint-Bernard. La sculpture fut en effet bien plus sollicitée que la peinture pour commémorer le vainqueur de Marengo, mais elle reflète la même perplexité des artistes face à l’iconographie changeante du général. Son visage n’est pas le même dans une statue de Gois, ordonnée pour orner le palais du Sénat au Luxembourg, ou dans le grand monument en bronze de Dejoux dressé place des Victoires. Aucune ressemblance entre le buste qui orne la fontaine de Percier et Fortin place Dauphine et celui commandé à Chinard pour compléter la série de généraux des Tuileries projetée par Bonaparte dès le 18 pluviôse an VIII.
L’Artiste
Ancien élève de l’École royale de dessin de Lyon, puis du sculpteur Barthélemy Blaise (1738-1819), Chinard fit plusieurs séjours en Italie. Le premier, effectué entre 1784 et 1787 fut couronné, en 1786, du prix de sculpture de l’Académie de Saint-Luc. Le second séjour romain, de 1791 à 1792, se termina brusquement par l’emprisonnement de l’artiste à cause de son attachement aux idées révolutionnaires. Les derniers voyages marquaient le retour à Rome de Chinard au faîte de sa carrière, devenu entretemps l’un des sculpteurs les plus recherchés du Consulat et de l’Empire, « membre associé non résident » de l’Institut depuis le 12 février 1796 et membre des académies de Lyon et de Carrare.
Dans son atelier lyonnais, l’artiste eut à réaliser les portraits de personnalités les plus diverses, allant des notables et bourgeois aux généraux de l’Empire – Leclerc et Cervoni – et à la famille impériale. Sans conteste l’un des grands portraitistes de son temps, il n’aimait pas se répéter, adaptant à chaque fois la présentation de ses bustes avec une facilité d’invention étonnante et parfois déconcertante, oscillant sans cesse entre le réalisme dans le rendu des matières et les inspirations classiques.
Notre Buste
Terminé en 1804, le buste en marbre de Desaix fut exposé au Salon de 1808 et reçut un accueil mitigé de Denon qui avait très bien connu Desaix en Égypte. Dans un souci de réalisme, Chinard parvint à faire venir d’Italie le masque mortuaire, ce que désapprouva Denon : « l’artiste qui a sculpté le marbre ne l’a fait que d’après le masque estampé sur la figure après sa mort, et vous croirez toujours le voir à cet instant fatal [...] Cette vue pénible est peu convenante pour retracer les traits de ce héros tant de fois couronné des lauriers de la Victoire . » Le directeur du Louvre se hâta de communiquer à Dejoux « les traits que la mort avait altérés ».
Est-ce dans ce contexte que Chinard songea à réaliser un second buste de Desaix ? À moins que notre marbre précède celui destiné aux Tuileries. S’il est difficile de trancher dans l’état actuel de nos connaissances, plusieurs points corroborent l’attribution de l’œuvre au sculpteur lyonnais à commencer par la présentation du buste qui reprend, presque à l’identique, celle du Bonaparte Premier Consul datant de 1802 et, de l’avis des contemporains, « peu ressemblant » quoique particulièrement réussi et éloquent. On retrouve le même réalisme du costume confronté à l’idéalisation du visage, la même précision dans le rendu des broderies ou de la chevelure, la même volonté de dissimuler les côtés trop abrupts du buste en hermès. Deux détails surtout sont à remarquer : le bouton à moitié engagé de l’uniforme et la surprenante attache qui pend du côté droit. Cette attache, que l’on crut, dans le buste de Bonaparte, n’être qu’un bout replié du baudrier (chose impossible), provient en effet des armures de la Rome antique et correspond à la lanière de cuir qui relie entre elles les parties pectorale et dorsale. Chinard utilise cet objet pour y placer des symboles d’importance : un faisceau de licteur dans le portrait du Premier Consul, une boucle en forme de cygne dans celui de Desaix. Ce cygne pourrait être une allusion générale aux combats de Desaix dans les guerres d’Allemagne, soulignés dans l’éloge funèbre de Garat. Mais il n’est pas impossible qu’il fasse allusion au « chant de cygne », expression employée par Denon dans ses mémoires lorsqu’il évoque l’action de Desaix à la bataille de Marengo.
Une certaine raideur et une attention portée davantage aux masses qu’aux détails infimes pourrait s’expliquer par le fait que l’œuvre soit inachevée, ce dont attestent les ornements non sculptés de l’écharpe du général et le baudrier demeuré à l’état d’ébauche. Mais cette manière est également celle des dernières réalisations de l’artiste, comme le monument de La Paix à Marseille datant de 1810.
La confrontation entre le buste de Desaix aujourd’hui conservé à Versailles et l’œuvre que nous présentons est révélatrice du talent de portraitiste de Chinard. D’un côté, une référence antique, le torse nu et idéal d’un jeune homme, mais le visage marqué par la mort et lèvres entrouvertes. De l’autre, uniforme de général de division admirablement exécutée, coiffure au catogan révolutionnaire d’un réalisme étonnant, mais forte héroïsation des traits et le regard à la fois déterminé et rêveur, adressé à la fois à la postérité et à l’éternité.
Bibliographie de l’œuvre
Paul VITRY, Exposition d’œuvres du sculpteur Chinard de Lyon (1756-1813) au pavillon de Marsan (palais du Louvre), cat. exp. Paris, musée des Arts décoratifs, 1909-1910, p. 44, no 70.
Stanislas LAMI, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française, t. I, 1898, p. 213 (« Le général Hoche (?) en costume militaire […] M. Paul Vitry fait observer, avec raison, que c’est peut-être un buste du général Desaix. »).
Willy Günther SCHWARK, Die Porträtwerke Chinards, Berlin, 1937, p. 75, cat. 120 (comme « buste d’un général, vers 1808 »).
Amédée SALOMON DE LA CHAPELLE, « Joseph Chinard, sculpteur. Sa vie et son œuvre », Revue du Lyonnais, 1896, t. XXII, p. 424.
Bibliographie générale
J. BENOIT, « Une série de bustes de généraux et d’officiers morts sous la Révolution et l’Empire », La Revue du Louvre, 1985, n° 1985-1, p. 9-20.
Amédée SALOMON DE LA CHAPELLE, « Joseph Chinard, sculpteur. Sa vie et son œuvre », Revue du Lyonnais, 1896, t. XXII, p. 77-98, 209-218, 272-291, 337-357, 412-442 ; 1897, t. XXIII, p. 37-52, 142-157.
Stanislas LAMI, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française, t. I, 1898.
Annie Jourdan, « Bonaparte et Desaix, une amitié inscrite dans la pierre des monuments ? », Annales historiques de la Révolution française, 324, 2001, p. 139-150.