Plâtre patiné à l’encaustique
Provenance :
Collection particulière
Si l’on a retenu Jules Dalou pour la vigueur majestueuse du Triomphe de la République, ou l’ampleur de son Monument des Travailleurs, le travail plus intime qu’il consacra à la figure féminine mérite d’être considéré avec tout autant d’attention.
La femme nue est en effet l’un des sujets de prédilection de Dalou, et les baigneuses constituent l’un des principaux sous-ensembles de son œuvre. Par leur statut d’études, immédiates et vibrantes, ces petites ronde-bosse ne quittèrent pas l’atelier du sculpteur. Jamais exposées ni éditées de son vivant, elles semblent avoir été menées pour le seul plaisir de l’artiste, vaste et charmant répertoire de formes jalousement conservé.
La femme assise dans un fauteuil, retirant son bas, puise très librement son inspiration chez les maîtres anciens. La figure de la femme se déshabillant est depuis longtemps chère aux artistes, incarnée par Suzanne ou par Bethsabée, on peut en effet penser devant notre œuvre à la Bethsabée de Rembrandt (Musée du Louvre).
Tout en remployant un canon académique, Dalou livre ici un ouvrage moderne, qu’il inscrit dans son temps. C’est bien un modèle charnel, vivant, qui achève devant nous de se dénuder. Assise dans un fauteuil crapaud, la jeune femme est saisie dans un geste prosaïque – la posture rappelle celle du Tireur d’épine (Rome, Palais des Conservateurs). Le bras gauche retient la jambe, pendant que la main droite retire l’ultime ornement du corps : le bas.
La tête courbée manifeste combien la jeune femme est toute à son geste, inconsciente d’être observée. Plus que de Rodin, ou de Carpeaux qui fut le maître incontesté de Dalou, on est ici tout proche de Degas. L’artiste avouait révéler ses femmes à la toilette « comme si vous regardiez à travers la serrure ». La pose gracieuse, le genou très ouvert, le modelé inégal, se retrouveront dans les différentes études en ronde-bosse pour la Danseuse mettant son bas, réalisées par Degas à la fin de sa vie (tirages au Musée d’Orsay).
Oeuvres en rapport
La virtuosité de Dalou est ici concentrée : le modelé vigoureux éloigne la figure de toute tentative d’idéalisation, et l’enracine dans la vie quotidienne. Le corps est bien construit, la pose souple allie grâce et densité expressive. On retrouve ces mêmes qualités dans la Femme retirant son bas du Musée d’Orsay (plâtre patiné, H : 34,8 cm). La jeune femme est alors simplement assise sur un rocher. On pense également à la Femme nue lisant dans un fauteuil (Musée d’Orsay, bronze, H : 33 cm), qui se tient dans un petit fauteuil crapaud, avec pour seule parure une paire de chaussures à talons.
Dalou multipliait les études ; il s’exprimait tout d’abord sur papier, avant de s’attaquer en trois dimensions au plâtre puis à la terre cuite. On connaît ainsi une ébauche dessinée au graphite sur vélin de « femme ôtant son bas », assise sur un fauteuil (fonds Becker). Notre plâtre patiné a été réalisé d’après la terre cuite originale (conservée au Petit Palais, Simier, n° 308), probablement en vue de la fonte par la maison Hebrard.
Date Proposée
Henriette Caillaux suggère que c’est lors de son exil en Angleterre (1871 – 1879) que Dalou « sacrifia au goût qu’avait le public pour les Baigneuses ». « Il excella dans ce genre délicat », précise l’auteur de la première monographie consacrée à l’artiste. Hunisak rallie dans sa thèse la même idée, qui permettrait ainsi d’avancer pour notre plâtre une datation au cours des années 1870. Si Dalou ne fit éditer que très peu d’œuvres de son vivant, il l’envisagea à la fin de sa vie afin d’assurer la subsistance de sa fille. Notre Femme retirant son bas fut éditée par un contrat Hébrard du 10 mai 1906 (n° 20) ; le tirage fut alors limité à dix épreuves numérotées.
Nous remercions Madame Cécile Champy-Vinas, conservatrice des sculptures au Musée du Petit Palais, de nous avoir permis de confronter notre œuvre à la terre cuite originale.
Bibliographie :
S. LAMI, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française au XIXe siècle, Paris : Libr. H. Champion, 1914, t. II, p. 13
H. CAILLAUX, Aimé Jules Dalou (1838 – 1902), préface de M. Paul VITRY ; Paris : Libr. Delagrave, 1935, cat. 240, p. 131
C. FREGNAC, “Dalou tire de l’oubli”, in Connaissance des arts, mai 1964, p. 119
J. M. HUNISAK, The Sculptor Jules Dalou : Studies in his style and Imagery, New-York, Londres : Garland, 1977, p. 120, ill. 70
H. W. JANSON, Nineteenth century sculpture, Londres : Thames and Hudson, 1985, p. 199, ill. 229
Elegant // Expressiv. Von Houdon bis Rodin, Französische Plastik des 19. Jahrhunderts, catalogue d’exposition, Karlsruhe : Staatliche Kunsthalle, 2007, p. 267
A Fleur de peau. Le bas entre mode et art, de 1850 à 2006, catalogue d’exposition, Troyes, .. : 2007
A. SIMIER, Jules Dalou, sculpteur de la république, Catalogue d’exposition, Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, avril-juillet 2013. Voir pour comparaison le modèle en terre cuite pp.380-381 n°308